ENTRETIEN AVEC L’ECRIVAIN DIDIER GOUPIL
1/ Quelle est l’origine de ce travail, de cette relation avec le peintre Roger
Cosme Estève?
J’ai rencontré Roger Estève à la fin des années 90 quand on m’a proposé
d’écrire le texte du catalogue de la première rétrospective que lui consacrait la
ville de Perpignan. Cela a été naturel tout de suite. Nous nous sommes
retrouvés régulièrement dans son atelier et le jardin de Néfiach, son village.
Nous parlions peinture, littérature, en écoutant Chavelas Vargas et en faisant
griller des côtelettes d’agneau au milieu des roseaux et des cyprès. Notre
relation s’est quelque peu distendue quand je suis venu vivre à Toulouse.
Nous sommes retrouvés en 2014, Roger habitait alors Gaillac, et nous avons
aussitôt présenté la série Les Arbres au Musée des Beaux-Arts de la ville. Dans la foulée, j’ai écrit avec sa collaboration Le Journal d’un caméléon, sa
biographie fantasmée. L’adaptation de ce roman publié par Le Serpent à
Plumes a été interprétée sur les scènes d’Eus et de Perpignan par le comédien Charles Gonzales. Depuis, Roger Estève expose régulièrement à Paris et à Perpignan, et nous avons présenté son œuvre ainsi que les textes qui l’accompagnent à Toulouse, Sète, Marciac ou Casablanca. Enfin, nous avons écrit à quatre mains trois livres d’art aux éditions Voix, dirigées par Richard Meier, et La Fleur du peintre est notre dernier échange… encouragé par les éditeurs André Rober et Étienne Sabench.
2/ Est-ce que tu te situes dans une sorte de statut de « Traducteur « de l’œuvre du peintre ?
Non, ce n’est pas le mot. « Traducteur » voudrait dire que je possède la langue
de Roger Estève et que je serais, par je ne sais quel miracle, capable de la
transmettre aux autres. Je crois que c’est plus simple. Le point de départ, c’est que j’aime la peinture de Roger, je l’aime dès l’instant où je l’ai découverte
jusqu’à aujourd’hui, et j’ai un défaut, ou peut-être une qualité, c’est que quand
j’aime… j’aime partager. J’ai partagé par l’instrument que je pratique, c’est-à-
dire l’écriture, et c’est très naturellement que j’ai commencé à écrire « sur », je
préfère dire « autour » de Roger Estève. Roger n’est pas me semble-t-il un
double, je dirais plutôt que c’est un confrère, au sens propre du mot,
quelqu’un, malgré une pratique différente, qui partage un même engagement
vis-à-vis de l’existence : à savoir comment la traverser, l’endurer… mais aussi
comme l’enchanter, l’émerveiller ?
C’est aussi, pour être honnête, au-delà de la personne que j’aime, un
personnage… un corps sur lequel je peux mettre, d’une certaine manière,
certains de mes « vêtements ».
3/ Peux-tu nous raconter l’histoire de ce livre « La Fleur du Peintre ».
La Fleur du peintre est né, comme les textes précédents, des moments que
nous passons ensemble. Avec Roger, nous ne « travaillons » jamais. Il n’y a pas de séances, de longues et fastidieuses recherches, de rendez-vous pris à
l’avance. Quand nous sommes engagés dans le livre, – le livre suit la série de
peintures que Roger est en train de faire-, nous nous retrouvons chez lui à
Perpignan pour quelques jours et à un moment donné, lors du repas, du café
du matin ou du digestif du soir, nous discutons de la série en cours, je prends
des notes, je relance, cela me fait penser à quelque chose, Roger précise, fait
allusion à ce qui l’a inspiré, et… tout à coup le texte est là. En règle générale, il
est écrit d’une traite ou presque quelques jours plus tard, de nuit. Sur le vif.
4/ De quelle façon le peintre réagit-il à ton Works in Progress? Est-ce qu’il
intervient ?
C’est difficile à décrire. Aujourd’hui, notre intimité est telle et nos
collaborations personnelles ou publiques ont été si nombreuses avec le temps
que nous sommes une sorte de « couple » où lorsque l’un prend la parole il
parle pour les deux. Étant plus précisément celui qui « parle », je veux dire qui
présente, qui lit, qui raconte, qui écrit, je crois que ce n’est pas un hasard si le
livre que j’ai consacré à Roger s’intitule Le Journal d’un caméléon. Nous le
sommes l’un et l’autre, je crois, et sans doute cela nous permet d’avancer
ensemble quel que soit le contexte ou la situation. Pour répondre donc
précisément à la question, il me semble qu’il se retrouve et qu’il entend dans
mes mots les couleurs de sa vie et de sa peinture
5/ Tu écris page 66 « La quête au fil des ans n’a rien perdu de sa substance » Est-ce que l’on peut l’entendre pour toi, en tant qu’écrivain ?
Les deux. Roger va avoir 80 ans et sa peinture n’a jamais été aussi « jeune »,
aussi « fraîche ». Après une période marquée par le noir du deuil et des
maisons en feu, viennent de fleurir les splendides Iris… et poussent aujourd’hui pour le prochain livre en préparation, un carnet de cuisine intitulé La Cuisine du peintre, légumes, poissons et viandes sous forme de natures
mortes…particulièrement vivantes.
De mon côté, j’ai choisi ou la vie a choisi pour moi la contre-allée, et vu
d’aujourd’hui je me dis que finalement c’est un endroit très fertile. On y
rencontre beaucoup de belles personnes, on y vit d’insolites aventures… et cela permet justement de conserver la persistance de la substance de la quête et de répondre au vœu de Paul Éluard et de son « dur désir de durer ».
6/ Avez-vous des projets en commun encore, Roger Cosme Estève et toi?
Justement, en projet, La Cuisine du peintre, carnet de cuisine inspiré des
recettes de sa mère Rosa et illustré de Bodegons, petites natures mortes très
prisées en Espagne au 17 ème et 18 ème siècles et qui décoraient les murs des tavernes ou des bodegas. J’en ai écrit l’introduction qui pour la première fois évoquera l’enfance de Roger et de sa mère, la discrète Rosa, dont le tablier, maculé des éclaboussures du plat en train de mijoter, est peut-être à l’origine de la vocation de notre peintre…

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