UN COEUR D’ACIER

Lorraine Brûle

CREDIT PHOTO: COLOMBE-TESSIER MOUGENOT.

Roman de JEANNE RIVIERE

LORRAINE, EN ANGE

Un ton, une couleur, un objectif.

Le ton, on pense à une forme de résistance. La couleur, un marron indéterminé. L’objectif, ne pas couler.

Dans « Lorraine Brûle », son premier roman, Jeanne Rivière dresse le portait d’une vie, de plusieurs vies, en apnée. Dans sa vraie vie, puisque c’est cela dont il est question, Jeanne Rivière est musicienne. Punk. Dans cette Lorraine qu’elle réussit (malgré elle ? ) à rendre envoûtante, toute de brumes et de désespoirs qui crèvent, elle traverse tout, en « nageuse », avec en prime un Tarzan, son fils de douze ans.

Où l’on retrouve la vallée de la Fensh, avec ses noms de communes qui finissent invariablement par « ange », si mal portés.

« METZ ICI METZ »

Chroniques du milieu musical messin, où chacun décode sa vie après l’avoir vécue, fardées de trash, on lit une fascination de la mort, sauf quand elle s’approche de trop près, et qu’elle fauche une amie, musicienne et complice. Pour survivre au chaos ambiant, Jeanne Rivière nage.

Chaque fin de chapitre est ponctué par son appréciation d’une piscine où elle va nager, manière de mesurer sa résistance à la pesanteur de l’existence. Là voilà mesurant le poids de sa vie dans les bassins lorrains. Tant qu’elle nage, un kilomètre à la piscine Lothaire, piscine Belle Isle, elle arrive au bout de la ligne, elle attend la réouverture de la piscine Nancy-Thermal, tant qu’elle nage, elle semble tenir une distance, par la grâce de la masse liquide, entre le désespoir et elle.

Outre la chronique très réaliste du milieu musical messin, Jeanne Rivière nous empoigne et nous jette dans le vif de certains sujets; comment payer son loyer, comment lutter contre les insomnies , la solitude, la médiocrité y compris la nôtre, comment faire partie de la bande qui ne veut pas que nous en fassions partie, comment nettoyer la litière des cochons d’Inde à trois heures du matin, comment ne pas s’embrouiller avec tel influenceur d’Instagram, trouver un moment pour aller rendre visite à la grand-mère dans la cité ouvrière, lieu de merveilleux souvenirs d’enfance, à quelle heure retrouver les artistes performeuses et comment on en arrive à ne pas cacher les cheveux blancs.

Dans ce premier roman, Jeanne Rivière nous renvoie une image flash, à la fois trash et poétique, d’une province représentative de notre temps: accro au vertige de sa perte.

Jeanne Rivière écrit avec une telle fièvre, qu’il semble que dans cette Lorraine sombre et majestueuse, il soit possible de puiser un nectar de vie. Ecriture traversée par un élan vital, fragile et radical, qui nous rouvre les yeux, sans concession,sans pudeur et avec pourtant, tellement de grâce.

Un coeur d’acier dans une Lorraine en flammes.

Lorraine Brûle
Jeanne Rivière

Gallimard.

19 euros.


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