ORLY CASTEL – BLOOM

TEL-AVIV AQUARIUM

Rien compris. Je crois que je n’ai rien compris à ce livre « Biotope ». Mais il y a une façon fascinante de ne pas comprendre: elle ouvre sur un horizon infini de liberté.

Alors, c’est un type au chômage, qui ne sait pas quoi faire de sa vie. ça commence mal, vu que des comme lui, il y en a des milliers, tu vas pas nous faire un roman avec ça.

Mais Orly Castel-Bloom a non seulement une idée en tête, elle est surtout un grand écrivain; elle ne lâche pas le col de son héros, Joseph Shimel, solitaire affublé d’un fidèle teckel, Foxy. Joseph Shimel habite dans un appartement rue du Roi de Saül, en plein coeur d’un Tel-Aviv agité. Le héros ne fait rien de sa vie, il n’a aucune idée de ce que cela peut bien signifier, il digère apparemment stoïquement son licenciement en tant que professeur d’université.

En attendant Godot, Shimel observe la ronde des SDF de son quartier, leur attribue des surnoms « L’Equerre, cent-quatre-vingt degrés, le Surchargé, le Marcheur, Queen Jovana » et des toxicos qui viennent chercher leur dose de méthadone. Dans le désordre, sans le savoir, il pratique la MT le jour de Kippour, soit une fois par an: ce jour-là, Tel-Aviv devient miraculeusement calme et notre héros atteint le nirvana.

Mais voilà, le concret reprend le dessus, et le héros, titulaire d’honorables diplômes devra mettre son orgueil au placard pour endosser la casquette du type qui accueille les primos arrivants français sur la terre promise (j’ai oublié de préciser qu’il est franco-israélien). Fauché, le voilà tombé entre les mains d’une bande bizarroïde, dont Sophie, une patronne un peu dingue, sauf quand il s’agit de calculer. Une embrouilleuse professionnelle, aux faux airs de diva , qui fait du business en sous traitant à tous les étages de la société israélienne.

Joseph Shimel apprend ainsi le « dur métier de vivre ». A l’aéroport, alors qu’il attend l’avion d’un couple, il est accosté par hasard, par un type un peu collant. Le genre pot de colle des cauchemars. C’est Dvir, qui pourrait jouer le rôle de la version avec défaut de fabrication d’un autre zébré du bocal, Elon Musk. Le cauchemar, donc, mais si sympathique! Et , comme le hasard fait si mal les choses, il est aussi un ami si proche de Sophie.

On voudrait crier au héros »Prends tes jambes à ton cou, tu fais entrer chez toi ta propre apocalypse! », mais on sait que le héros demeurera sourd à nos injonctions.

De fil en aiguille, entre Sophie, Dvir, sa solitude et ses ennuis financiers, Joseph Shimel est arrivé dans la case réservée aux candides : arnaque et compagnie. Après s’être fait totalement dépouillé par sa patronne et par Dvir, complices névrotiques, Joseph Shimel apprend qu’il vient d’hériter, grâce à sa grand-mère chérie d’ une maison magnifique qui l’attend à bras ouvert en Normandie, face à la mer! L’effet est immédiat: il croit en Dieu. Il change également de statut auprès de sa banque.

Ici, j’arrive à le suivre. Peut-être pas à bien comprendre. Je m’octroie une marge. Donc Shimel va inspecter l’héritage, il s’endort dans des draps propres qui sentent bon la lavande et l’enfance, avant de revenir dans l’aquarium tel-avivien. Auparavant, il s’était désinscrit du groupe whatsApp de la bande d’aimables escrocs, désinscription qui lui avait fait l’effet de s’engouffrer vingt mille lieux sous les mers. Mais il refait surface, un groupe whatsApp n’aura pas sa peau.

Les gratte-ciel, les escrocs et le rêveur.

A présent presque riche, il peut se permettre de faire fonctionner la climatisation 24/24, ce qui, dans la fournaise de l’été à Tel-Aviv, est un luxe suprême. La ronde recommence, promenades avec Foxy au Jardin des Juges, lever et abaisser la barrière du parking de la résidence avec la manette, observations des SDF du quartier. On se dit que peut-être, tout est presque bien qui finit presque bien? Pas du tout. Le wampire Dvir n’a pas dit son dernier mot. Ignorant tout scrupules, il espère cette fois tirer bien plus gros de ce rêveur solitaire. Là, on se lève, tremblants d’indignation, on crie à Shimel qu’il ne va quand même pas encore se faire avoir? N’y va pas, on t’aime bien! L’espace d’une ligne, on a cru qu’il tiendrait bon, on a espéré qu’il aurait appris la leçon. Et bien non, il y retourne ce crétin, il en redemande! Et nous, on est furieux, parce que quand il se fait avoir, on se fait avoir avec lui! Tout ça me rappelle ces séances de cinéma en plein air, en Espagne, quand j’étais petite. On mangeait des glaces, du pop-corn, tout le monde vociférait en même temps sans prêter la moindre attention à ce qui se passait sur l’écran, mais dès que le type censé être le comique de l’histoire apparaissait, avant qu’il n’ait prononcé la moindre parole, tout le monde hurlait de rire en le pointant du doigt!

Là, c’est pareil. On essaie de retenir Joseph Shimel par le coin du tee-shirt, on le supplie, n’y va pas, reste tranquillement chez toi, il fonce tête baissée.

Je bouillonne de rage. Je claque les pages. Où l’on retrouve le crétin héros de l’histoire, totalement abasourdie devant des garanties qu’il a lui-même signées en faveur de sociétés…. aux noms de Sophie et Dvir.

Après, tout va très vite, il fait ses valises et s’installe dans la maison normande où il loue des chambres, principalement à des touristes japonais. Son chien Foxy, lui, n’a pas supporté la transplantation sur une autre terre. Au lieu de courir en toute liberté sur les immenses plages normandes, il passait son temps à essayer d’éviter les voitures de la circulation de Tel-Aviv.

C’est vrai, je n’ai rien compris. Mais j’ai l’impression d’avoir déjà rencontré ce Joseph Shimel.

Voilà, c’est tout. Non? Quoi encore?

Ah oui. Merci Orly Castel-Bloom.

BIOTOPE

ACTES SUD

22,50 euros.


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