
Némésis médicale
Ivan Illich
Editions Fayard.
EXTRAIT
‘Il s’agit de convaincre les médecins, mais avant tout leurs clients, qu’au delà
d’un certain niveau d’effort la somme des actes préventifs, diagnostiques et thérapeutiques ayant pour cibles les maladies spécifiques d’une population, d’un groupe d’âge ou d’individus, abaisse nécessairement le niveau global de santé de toute la société en réduisant ce qui précisément constitue la santé de chaque individu: son autonomie personnelle.
Il s’agit de susciter , dans un peuple de consommateurs de santé, la prise de conscience que seul le profane a la compétence et le pouvoir nécessaires pour renverser une prêtrise sanitaire qui impose une médecine morbide.
Il s’agit de démontrer que seule l’action politique et juridique peut maîtriser ce fléau qu’est l’invasion médicale, qu’elle se manifeste sous la forme d’une dépendance personnelle ou d’une médicalisation de la société »
Capital santé, capital boursier.
Le ton est donné.
Dans cet essai publié en 1974, Ivan Illich, philosophe, penseur de l’écologie politique, fondateur du Centre Interculturel de documentation, au Mexique, analyse les ressorts d’une industrialisation du système médical, ainsi que de son pendant, la soumission des individus.
En lisant et relisant ce très brillant « Némésis médical », je me fais la réflexion, que les grands responsables ne sont pas uniquement les sombres financiers vêtus de blouses blanches, mais également, nous tous, qui acceptons la chape médicamenteuse qui nous enserre.
Avec brio, Ivan Illich critique et met en exergue l’expropriation de la santé de chacun face à une industrie monstrueuse, souvent inefficace, souvent dangereuse. Loin du supposé complotisme, désignation si pratique pour tous ceux qui préfèrent que l’on ne réfléchisse tout bonnement pas, Ivan Illich propose une sorte de diagramme de la croissance des dépenses médicales et de la croissance de nos pathologies.
EXTRAIT
« Après les soins de maladie, les soins de santé sont devenus une marchandise, c’est-à-dire quelque chose que l’on consomme et non quelque chose que l’on fait. Plus le salaire payé par la firme est important, plus il faut dépenser pour que cet estimable rouage de la société soit bien huilé. La consommation de soins préventifs est le dernier en date des signes de statut social chez les bourgeois. Pour être à la mode, il est nécessaire aujourd’hui de consommer du « check-up ». L’extension du contrôle professionnel aux soins dispensés à des gens en parfaite santé est une nouvelle manifestation de la médicalisation de la vie. Les gens n’ont plus besoin d’être malades pour devenir patients. »
Cette dernière phrase m’a particulièrement marquée. Si les gens, vous, moi, nous tous, n’avons plus besoin d’être malades pour devenir patients, cela signifie bien que nous sommes tous des malades potentiels. Nous transportons en nous le germe que Big Pharma va déceler, puis négocier. Laissez tomber le yoga, le jogging, la salle de sports, la méditation, la marche, les produits naturels, in fine, les maladies se frottent les mandibules et nous attendent en ricanant devant notre naïveté. Plus sérieusement, la thèse de l’auteur confirme, qu’au delà d’un seuil financier, le développement de la santé nui à la santé. Pour cela, il analyse entre autres, la religiosité, la sacralité mise en scène par le système médical. Le surdéveloppement des examens préventifs crée les maladies. Illich pousse son analyse jusqu’au mythe de l’immortalité, et tout cela en 1974, si loin, si proche du transhumanisme.
Il nous donne à voir également l’ obscène lien, l’imbrication économique qui a créé l’outil politique si puissant…
C’est bien un certain Hippocrate, qui fit cette recommandation aux médecins » Avoir, dans les maladies, deux choses en vue: être utile, ou du moins, ne pas nuire »
Entre Némésis et indifférence, le rendement, le rendement, et encore le rendement
Depuis 1974, date de publication de cet indispensable ouvrage, les années Covid sont venues cimenter la réflexion d’Ivan Illich.
Le monde entier s’est retrouvé masqué, muselière hygiénique sur la gueule.
Et vaccins de la terreur dans les veines.
Deux images occupent mon esprit:la peur, et le besoin d’une figure paternaliste.
Une société se défend toujours contre ce qui n’est pas son idéologie régnante. Il faudrait avoir conscience de la fermeture de cette société, et tenter d’agir en conséquence: la fissurer.
Et cela, sans devenir la grimace de l’adversité.
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