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Après Clara Claus, c’est l’autrice Claire Garand qui joue le jeu.

CLAIRE GARAND

Texte extrait du projet. Le berger cosmique en cours de rédaction. D’après des gravures et créations visuelles de l’artiste Sabine Delahaut, Claire Garand rédige une histoire en 17 tableaux et trois interludes. Les deux autrices ont choisi ensemble les gravures qu ont donné naissance aux textes
qui ont eux-mêmes modifié les gravures en un va-et-vient créatif.
Ce passage est le début de l’histoire.

1

Né d’un cri à l’angle gauche de l’univers, le berger fut semé par la semeuse plissée.
Sa graine vola, tomba, mêlée à la poussière morte où seules poussent les ruines.
Les rochers que foule la semeuse de sa plante aussi épaisse que du cuir sont d’anciennes maisons usées qui ont perdu leurs formes, balayées par l’haleine brûlante du néant.
Mais la graine tombe et tombe encore.
La semeuse sans relâche sème, le sourire aux lèvres.
Car même en prison on élabore des herbiers.
Deux brins se dressent.
Voilà comment naquirent les deux jambes du berger, puis son corps, mais sa tête resta un bourgeon enfoncé dans son cou, entre ses épaules.
Peu importait, car ses bras se tendaient vers le monde et la lumière frappait le bout de ses doigts à la peau aussi photosensible que celle d’une pieuvre.
Ainsi voit-il sans yeux ni tête, seule la désolation lui échappe, car elle n’émet pas de photons.
Au-dessus de lui, les espaces infinis le contemplent avec amusement.
C’est quoi, cette petite chose ?
Elle ne sait même pas marcher, elle fait la roue, deux mains deux pieds qui montrent aux étoiles leurs paumes et leurs plantes. Puis tout retombe et tourne encore.
Aïe ! Les aiguilles des roches de maison lui entaillent les mains. Va-t-il s’arrêter ?
S’arrêter, c’est crever.
Un message, ils le lui adressent en pointillés, des lumières courtes sur fond de cosmos que des yeux banals prendraient pour des traits. Un tison placé derrière le grand os noir de la voûte sans fin craquelle cet endroit, confectionnant chaque signe l’un après l’autre. Ses doigts à la pulpe sensible
parcourent les mots lumineux.
« Marche, petit berger, car tu cherches la bestiole folle de notre troupeau.
Comment la reconnaîtrai-je ?
À son allure de nuage, sa laine n’a pas été tondue depuis des années. Ce poids l’écrase, il faut la délivrer. »
Ainsi partit le berger, quittant la poussière et les graines séchées — sont-elles vraiment toutes mortes ? — que sème la semeuse aux cheveux de rochers.

Claire Garand
Poètesse nouvelliste et romancière, Claire Garand est notamment l’autrice du roman SF « Paideia »
(éd. La Volte, prix Julia Verlanger 2023, prix Rosny Aîné 2024), et du recueil de poésie « Joies » qui vient de paraître (avril 25) aux éditions La tête à l’envers.
Une de ses thématiques littéraires est d’explorer les tréfonds du vivant et de l’altérité, en situation de crise. Le berger cosmique, projet réalisé en collaboration avec l’artiste-graveuse Sabine Delahaut, évoque l’exil d’un personnage qui s’efforce de trouver la joie.
https://claire-garand.fr/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Claire_Garand