OTA PAVEL

Inventaire poétique des rivières, des hommes et des poissons.
Son « génial papa », comme le nomme lui-même Ota Pavel, était capable de vendre des aspirateurs à des gens qui n’avaient pas l’électricité. Un artiste de la vente d’aspirateurs et de la pêche à la ligne. Un génial papa, farfelu, charmeur, foutraque, dans la Tchécoslovaquie d’avant-guerre. Mais comme dans les vraies histoires qui ne finissent pas bien, le génial papa finira par tomber, non pas dans la gueule d’un gardon, mais dans celle du loup nazie.
Avec ses deux frères, le petit Ota suit les tribulations de ses parents. bohèmes. On habite dans une caravane. On vide un étang pour en recueillir les carpes, dans le but d’en faire l’élevage, problème, ledit étang ne contient qu’une carpe, humiliation et ruine pour la famille. Génial papa ruine régulièrement femme et enfants dans des affaires fabuleuses et infructueuses.
Ce roman, autobiographique « Comment j’ai rencontré les poissons », débute par une joyeuse suite de tribulations, aussi cocasses les unes que les autres. Pour exemple, l’amour « forcément » platonique, que génial papa porte à Madame Irma, l’épouse de son patron, une sorte de poupée Barbie au sourire figé, mais qui a pris dans l’esprit fantasque du génial papa, la forme d’un trophée. La très zen épouse de génial papa n’en n’a cure, estimant que « ses chances de la séduire étaient aussi minces que si il aurait voulu gravir le Mont-Everest ».
Après maintes aventures aussi loufoques les une que les autres, l’héroïque chef de famille, renonce à vendre des extincteurs qui n’ont d’autres qualités que de faire flamber les lieux qu’ils doivent protéger, se lance donc avec fougue dans la vente d’aspirateurs, l’objet incontournable des ménages aisés. Le voilà qui s’évertue à faire grimper le chiffre d’affaires en espérant que sa cote auprès de la Barbie du patron suivra la me trajectoire.
Tout commence presque comme un vaudeville. Mais, dans l’écriture, une pointe « d’autre chose » persiste, on sent poindre une ampleur, qui ne tarde pas à nous envelopper. Voilà qu’Ota Pavel, avec une écriture simple, déploie la profonde beauté des paysages d’Europe de l’Est, le mystère jamais élucidé de la circulation des poissons, de leur connivence avec les hommes.
La pêche à la ligne, voilà la grande histoire.
Des gardons ventrus, des carpes indécises, des chevaises argentées, des goujons nerveux, des barbeaux élégants, c’est l’inventaire poétique des hommes et des poissons.
EXTRAIT
« La rivière grondait à coté du sentier et dans les branches des arbres criaient les chouettes et les hiboux. De tout temps la nuit appartient aux animaux. Le jour appartient aux hommes. Et moi, j’allais à l’encontre de cela et la nuit fustigeait mon âme. J’avais terriblement peur. Puis j’entendais l’eau du seuil et la fuite du perthuis. Au-dessus du déversoir se détachait la silhouette du moulin avec une seule ampoule allumée.
J’avançais dans l’herbe en me traitant de dégonflé praguois de chez les dégonflés pragois. /////// C’était l’heure de me mettre à l’eau. La corde était longue, je m’avançais jusqu’au mitran, je me prenais souvent les pieds dans les pierres glissantes et je tombais. Je lançais la pierre à l’eau et c’était comme si elle me tombait droit du coeur.
Et le retour jusqu’à Luth. Le moulin endormi éclairait. Les chouettes et les hiboux proclamaient que cette nuit appartient aux oiseaux et aux animaux. La rivière brillait, la lune se lavait la face, l’herbe me claquait les mollets. Et c’est là que je pris conscience à quel point c’était beau d’être seul la nuit.
Et le souvenir m’en est resté à jamais. »
Hymne à la liberté, à l’amour de la nature, ce récit autobiographique est devenu un classique dans le pays d’Ota Pavel.
Un jour, à travers la campagne tchèque , le ciel s’assombrit. Papa n’a plus le droit de conduire une voiture, et dans le ciel, la nuit, brille une nouvelle étoile, « JUDE ».
Génial papa traverse l’enfer comme une toupie déglinguée, il y laisse au minimun sa fantaisie, sa joie, puis son coeur.
EXTRAIT
» Près de ce portail, il avait cessé d’être un communiste pour redevenir un juif. Nous nous regardions. Il avait quelque chose dans les yeux que je n’avais jamais vu auparavant. Tout autour de nous, les oiseaux chantaient dans le crépuscule et ça ressemblait à de vieilles complaintes juives. Il abaissa sa hache, et s’assit en caleçon sur une chaise qui était toujours là pour ceux qui venaient le voir et qui étaient fatigués par le voyage ou par la vie. Il attendait qu’on vienne le coffrer lui aussi. Mais personne ne vint le chercher. Il n’avait aucun pouvoir et ne dirigeait aucune administration. C’était un trop petit bonhomme.
Dans la nuit, lorsque je regardais au-dehors, il n’avait pas quitté sa chaise. Une étoile d’or était justement entrain de tomber et elle était plus belle et peut-être même plus honnête que toutes les étoiles de cette terre étrange »
La famille est décimée par la seconde guerre mondiale, le petit Ota échappe aux camps et devient celui qu’il imaginait dans ses rêves de gosse solitaire, journaliste sportif. Loin des lombrics, des aubes grises, des eaux limoneuses et prometteuses, de leurs parfums inimitables, des roseaux et des truites insaisissables, des duels silencieux avec le peuple des poissons.
Mais, soudain, Ota, , « perd la boule ». Tout se brouille devant ses yeux, il met le feu à une ferme. Lui qui se voyait « marcher pieds nus dans la neige comme le Christ montant à Golgotha », échoue dans un désert, un asile, seul, sur une chaise, pendant des années. Ce qu’il a souffert, aucun mot n’est en mesure de le traduire.
Ce que l’on sait, c’est que lorsque son état s’est amélioré, il a raconté que ce qu’il avait vécu de plus beau, à tout jamais, était les rivières, l’éclat de la lune la nuit sur les eaux argentées; les odeurs, les barrages à poisson, les herbes, le silence.
Et puis, parce que la vie sait quand elle le veut, tendre une main bienveillante, un médecin digne de ce nom, lui offre cahiers et stylos et l’encourage à noter ses souvenirs. Ota Pavel écrit alors ce qui sera son unique livre « Comment j’ai rencontré les poissons », mais pourquoi en écrire un autre?
A Prague, il est possible de visiter ce qui fut sa petite maison, son petit bureau, il est possible de se sentir traversé alors par l’infini des forêts, le murmure des ruisseaux, il est possible d’entendre des rires et de sentir la fraîcheur d’une rivière vous effleurer, et de ne jamais comprendre la beauté qui émane de cela. Il n’y a rien à comprendre.
OTA PAVEL
COMMENT J’AI RENCONTRE LES POISSONS
FOLIO
Laisser un commentaire