FILLES ATOMIQUES ET TOUR DE GLOBE

Dans son coeur d’uranium enrichi, la nuit….

Aujourd’hui, on fait trois tours de GLOBE, les éditions crées en 2013 par Valentine Gay. Pour commencer, premier tour de GLOBE, avec le sublime « Filles atomiques » d‘Elisa Diaz Castelo.

Conçu comme un poème lyrique, structuré avec les codes du théâtre, ce livre nous précipite dans le désert du Nouveau -Mexique, le 16 Juillet 1945, à 5h 29 du matin. Trinity. Le premier essai d’arme nucléaire ouvre sa voie démoniaque. Elisa Diaz Castelo donne la parole au grand maître du projet « Manhattan », Robert Oppenheimer.

Mais ce récit troublant de beauté destructrice, donne surtout la parole à des femmes qui se trouvèrent au premier plan de l’histoire atomique, sacrifiant ainsi leurs jeunesses, leurs existences, piégées dans les filets d’hommes ivres de puissance.

Que ce soient les jeunes ouvrières d’Oak Ridge, que l’on fit travailler sur l’atome sans leur dire de quoi il s’agissait, de Leona Woods, sportive, écologiste et unique femme impliquée dans la conception et la mise en route du réacteur nucléaire, ou de Kitty Oppenheimer, élevant ses enfants dans « la pluie noire des isotopes », toutes demeurèrent comme pétrifiées par la folie apocalyptique de ces hommes. Instrumentalisées, elles assistèrent en arrière plan, au désastre orchestré par des hommes.

Kitty, esseulée, tétanisée devant l’inexorable catastrophe, alcoolisée, tentant de tendre la main au-dessus de l’enfer vers une vie réelle et pure, tentant de préserver l’enfance sacrifiée au nom du progrès, au nom de l’atome. Elle note, à travers le cercle de l’alcool, son doute des hommes, son doute de Dieu, son sang empoisonné et le compte à rebours de l’humanité.

EXTRAIT

KITTY

«  Signes de la fin du monde:

mes trois orchidées ont changé de couleur,

le martinet a troqué son chant lumineux

contre une plainte atrophiée,

comme s’il connaissait d’avance

la douleur effervescente des blessés,

Ma chienne a dévoré ses sept enfants.

Et au coeur de ces mauvaises augures,

mon fils Peter commence à écrire son nom,

le lait se tarit

et la nuit son souffle

est tout ce qui tient la maison debout.

Choses qui sont sur le point d’arriver:

lumière de toute parts,

toute morte,

.

Les pleurs neufs de ma fille embraseront l’aube.

Les mutations transformeront nos visages.

J’ai vu une étoile tomber du ciel à la terre

et on m’a donné les clés de l’abîme

et de la plus grande cave de Los Alamos. »

Et puis une autre jeune femme, elle aussi papillon épinglé sur la toile démente de Robert Oppenheimer, Jean Tatlock. Elle est psychiatre et communiste. Tout cela ne l’empêche pas de devenir l’amante attitrée de’Oppenheimer. Elle aussi, aux premières loges du drame.

EXTRAIT

Jean.

 » Même les jours heureux,

avec leur chemin de thé et de bruit blanc,

avec leur odeur de pluie et leurs après-midi de soleil

étendus confortablement comme de vieux animaux domestiques

sur le carrelage de la terrasse,

même les jours heureux

quand on peut sans douleur sourire aux autres

ou prendre les enfants par la main

sont bordés d’angoisse

perclus de détresse

a peine vivables

et ne suffisent,

comme le dimanche qu’on nous donnait , enfants,

clairement pas« 

La folie poursuit sa course avec le groupe de jeunes filles d’Oak Ridge.

Ces jeunes filles là sont sérieuses, elles obéissent scrupuleusement aux ordres, pour l’instant, elles ne pensent ni aux garçons, ni à la dernière mode.. Elles isolent de leurs jeunes mains l’isotope de l’uranium qui sert à fabriquer la bombe atomique. C’est peu dire qu’elles possèdent un précieux savoir faire. Celui qui les as initiées à cette délicate tâche est un entrepreneur. Il a simplement omis de leur dire à quoi sert l’isotope d’uranium.

Avec gravité et innocence, elles ouvrent les portes de l’abîme.

EXTRAIT

LES FILLES D’OAK RIDGE

 » Nous sommes ce que nous cherchons. Même si nous ne savons pas ce que nous cherchons. De qui est cette voix qui dit qu’elle est nous. Le futur est une autre langue. Dieu n’a pas voulu ça peut-être, comme pas mal d’autres choses. Parfois nous lui demandons de nous pardonner. Mais Dieu fait froid et fait soleil à contrecoeur il avale la lumière paresseuse des crépuscules.

Maintenant, on le sait.

Le mot isotope et le mot uranium. Tant pis, nous continuons. Nous nous sommes mariées, nous avons eu des enfants, parfois nous achetons des fleurs au marché. Mais à dix-neuf ans, nous avons ouvert les portes de l’atome pour toujours« 

Finie l’innocence. Tout le monde regarde dans la même direction…

Le monde est perforé, brûlé, il casse comme du verre. On voudrait que ce ne soit qu’un cauchemar.

Robert Oppenheimer lui, ne connaît pas le doute. D’emblée il s’autoproclame Roi, Dieu, plus puissant que le plus puissant….Les Dieux s’inclinent devant lui, son pouvoir dévaste nos espoirs. « La bombe est une porte ouverte que personne ne peut fermer ».

Et pour clore le chaînon sinistre, on a Leona Woods. Elisa DIaz Castello écrit dans sa présentation des personnages : » Elle aime le sport, l’écologie, la radioactivité. Seule femme impliquée dans la conception et la mise en route du réacteur nucléaire à Chicago. Présente le jour de la première réaction en chaîne« .

On retrouvera peut-être un jour ou une nuit sans fin, ce livre, dans les décombres d’un monde. Il racontera l’Histoire.

Deuxième tour de GLOBE.

Le Glouton, une fable aux accents dévorants. A. K Blakemore se livre dans ce récit rocambolesque à une vive critique politique de nos sociétés. Féroce, ce texte sans concessions chevauche les époques tout en épinglant au passage le prêt à penser.

Par le biais du personnage principal, Tarare, une sorte d’humain qui cristallise en lui les vilenies et absurdités de l’âme humaine, l’auteur dépeint une société standard et vénale, qui se réjouit d’exploiter les plus faibles. Et qui, tel un glouton, les avale à la pelle.

Troisième tour de GLOBE, DIOS Y FLORIDA. De IVY POCHODA

C’est du noir, du brut. Et 100%100 féminin. Mais une histoire de filles qui ne fait pas dans la dentelle, ni dans le bio, ni dans le yoga. Le maître mot est « violence ». Elle court d’un bout à l’autre de ce texte, s’enivrant de sa propre violence, s’auto nourrissant de son ivresse folle, elle ne se rompt jamais et assume, elle est ce qu’elle est.

Ivy Pochoda déconstruit dans ce texte l’une des idées qui colle encore à la peau des femmes: la violence d’une femme ne peut qu’être une réaction, dans un temps indéfini, à une autre violence qu’elle aurait subie. Autrement dit, une femme ne peut pas être violente par nature, elle ne l’est que par réponse à un acte ou à un événement subi au cours de son existence, et qui l’aura rendue violente.

Ivy Pochoda, ici, affirme le contraire. La violence n’est pas le triste privilège masculin, elle traverse également les âmes et corps féminins.

Colère, pulsions, fracas, deux femmes hors pistes se rencontrent dans l’espace clos d’une cellule. Elles se jaugent. Dehors, dans la vie, lorsque Florida hésite, Dios la propulse dans le volcan de la colère, l’encourageant à embrasser ses plus profondes noirceurs.

EXTRAIT

«  Il y a deux personnes sur la fresque, deux femmes. Dios et Forida. Vous allez bientôt entendre parler d’elles.

Ce croisement, c’est la fin de leur cavale.

Florida court sur Western Avenue. Au loin, planté sur la colline, le panneau Hollywood regarde la scène.

Dios a des yeux fixes de serpent. Tu peux regarder la photo aussi longtemps que tu veux, eux, ils bougent pas. Ce regard est figé. Dur comme la pierre.

C’est Florida qui est en mouvement, qui remonte la rue à toute blinde, au milieu de la chaussée.

On voit Florida de profil. Elle a une tête bizarre, comme si elle s’était maquillée pour Halloween. Elle a les cheveux attachés, mais on devine qu’ils sont encore cramés par le peroxyde. »

Yvy Pochoda souffle sur les braises. Et écrit une fresque d’une beauté brûlante.

Le tour de Globe est terminé. Personnellement, je reprendrais bien un autre ticket.


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