NAGER DANS LA GRANDE VERDURE

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LA GRANDE VERDURE.

ROMAN.

EN LIBRAIRIE LE 4 SEPTEMBRE.

LUCIE HEDER.

EDITIONS LA VOLTE.

Peut-être bien que c’est exact, peut-être bien que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Dans son livre « La Grande Verdure« , à paraître aux éditions « La Volte« , Lucie Heder nous place face à nos impasses idéologiques. Demain, sur une planète dévastée par les intempéries de toutes sortes, une communauté de survivantes tente de structurer une forme de société. A la lumière de nos défaites, elles inventent une façon de communiquer : s’exprimer en utilisant des plantes, et non des mots. Ce langage codé, censé endiguer les émotions, séduit au premier abord: quelle belle idée, à la fois poétique et pacifique. Offrir un cactus, si la colère nous submerge, du fenouil, si nous souhaitons « une discussion de fond nettoyante », pâquerette et pissenlit pour dire « l’élan de joie et la spontanéité », une capucine dira » l’invitation à écouter », ou encore la menthe qui exprime « la répétition, l’invitation à se rafraîchir la mémoire ».

Apprendre à se contenir, à ne pas sur-réagir, à emmurer l’impulsivité, c’est tourner le dos aux conflits, sources de tous nos malheurs. Protéger nos liens grâce au langage des plantes, offrir une plante pour anesthésier nos émotions, il y va de la pérennité de cette communauté.

Mais comme dans toute histoire humaine, un grain de sable vient enrayer la perfection de la machine. Ici, en l’occurrence, ce sont deux grains de sable qui se rencontrent. Lierre, d’abord. Lierre, qui souffre de n’avoir tout simplement pas le droit de souffrir. Lierre, qui étouffe sous l’airbag émotionnel imposé par la communauté, Lierre qui rêve de pleurer de rire, de joie, de chagrin, Lierre qui gonfle sa poitrine lourde de vies, de colère, de curiosité, d’émotions…. Deuxième grain de sable, Sable elle-même. Une étrange jardinière, à la présence absente et qui vit hors de la communauté. Leur rencontre est déterminante, pour l’une comme pour l’autre, et comme tout est lié, pour la communauté également. Lierre va retrouver ses multiples dimensions auprès de Sable.

BIENVEILLANTE IDEOLOGIE.

Au-delà de cette poésie, inoffensive au premier regard, c’est bien la question de notre libre arbitre qui est posée. Et de nos vigilances. Comment peut-on glisser sans le vouloir, d’une idéologie dictatoriale à une autre? Et tout cela, avec les meilleures intentions du monde: ne pas blesser autrui par nos paroles. Ne pas ouvrir la porte aux malentendus, aux guerres en tous genres. Car oui, les mots peuvent tuer. Le silence aussi.

A bout de souffle, Lierre s’extrait du protocole étouffant d’une communauté qui se heurte à ses limites, qui éprouve la dure expérience d’avoir tenté de vivre sous une latitude différente de celle qui régissait nos sociétés. Voici « La Grande Verdure » tétanisée de s’être prise au piège du désir du contrôle absolu. La voici qui détourne farouchement son regard de la grande question : comment faire partie du collectif, tout en restant soi-même?

EXTRAIT

«  Et si la grande verdure n’était plus un bloc monolithique? S(il y avait eu une scission? Ou si des personnes préparaient une scission? Et si je n’étais pas la seule à avoir un problème avec la charte? Cette charte écrite dés que la survie a été possible dans cette éco-résidence perdue dans le nulle part des événements. Qui édicte des principes très fermes. Chaque logis est lié à la charte de la grande verdure. Chaque conversation est une plante. Les conversations sont divisées en catégories botaniques. Pour que la moindre conversation ait lieu, il faut que la plante adéquate soit offerte ou déjà sur place. La plante est la conversation. « 

FERTILISER LA LANGUE

Lucie Heder nous empoigne là ou ça fait mal. Au coeur de notre désir d’absolu, de pureté, mais aussi de pouvoir. Et ce coeur là devient une prison lorsqu’il interdit d’avoir mal, lorsqu’il interdit la remise en question. Lorsqu’il interdit avec le sourire et des plantes, d’exprimer les émotions.

Ce texte si vivant est porté par une écriture particulière, sensuelle, qui ressemble à un son, un espace. On vibre, on s’ensable, on ressent le souffle oppressant de la Grande Verdure, les yeux fixes du « têtard », le drone de surveillance, on laisse la nuit profonde nous submerger, après avoir parcouru des labyrinthes, des terrains vagues, après avoir escaladé des murs vermoulus, traversé des places désertes, des lieux marécageux, infestés de microsplastique et de pesticides, alors que le vendur nous claque au visage.

Lucie Heder invente, fertilise la langue française; sans rien détruire, bien au contraire. Elle opère des boutures qui permettent ainsi l’éclosion de langages en sommeil. C’est fascinant de tenir entre ses mains un tel livre, qui ouvre à la réflexion, mais également à un champ sémantique. Fascinant de participer par la lecture à l’évolution de la langue, à ses mouvements tectoniques.

« La Grande Verdure » nous offre son oxygène et sa lumière, à la fois littéraire et philosophique. Vivifiant.


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