Avec Rabindranath Tagore
Une école sans murs.
Editions écososiété
Une anthologie préparée et présentée par Chantal Santerne et Normand Baillargeon
20 euros
Comme c’est la rentrée, j’inaugure cette nouvelle rubrique « L’Heure de la sortie«
Pour commencer, il s’agit de sortir de nos certitudes. En matière d’éducation, il s’agira également de décentrer nos regards, de poser des questions. De tenter d’ y répondre.
D’Alexander Sutherland Neil (Libres enfants de Summerhill), à Rudolf Steiner, en passant par Maria Montessori, Célestin Freinet et bien d’autres, les méthodes pédagogiques et éducatives ont fait florilège, souvent controversées, imanquablement imparfaites, toujours indispensables.
Cette rubrique témoignera des contributions de celles et ceux qui s’emploient à innover en matière de pédagogie, avec les moyens qui leurs appartiennent.
C’est Rabindranath Tagore qui ouvre le carnet de « L’heure de la sortie ». L’écrivain indien, lauréat du Prix Nobel de littérature en 1913, exprime dans ce livre « Une école sans murs », douze textes réunis par la maison d’éditions canadienne « écosociété », les sommes de sa philosophie, de son engagement et de son expérience en matière éducative et pédagogique.
DE LA NATURE POUR PEDAGOGIE
Rabindranath Tagore se fait le chantre , outre du cosmopolitisme (tout en défendant le concept d’identité ), d’une pédagogie fondée sur une relation directe et intime avec la nature. Il souligne la profonde nécessité de la joie, du plaisir, dans les actes d’apprentissage. Dans l’un de ses romans, il fait dire à l’un de ses personnages « Les maîtres ne se souciaient pas de faire du travail une source de joie, je me sentais malheureux comme un lapin en cage dans un institut biologique »
Après une vie bouleversée par des drames familiaux, Tagore ouvre enfin sa première école. En prolongement de cette école, en 1921, il inaugure une université, dont la vocation internationale ne s’est jamais démentie. Homme d’engagement, il investit tout ses biens, toutes ses terres dans cette institution. C’est un projet gigantesque, unique, qui voit le jour. Il ne cesse d’innover, et en 1922, un troisième département rural est créé, avec un agronome, Léonard Elmhirst. Ce département sera voué à » l’amélioration des conditions économiques, physiques et intellectuelles des villageois » .
A cette époque, Rabindranath Tagore multiplie les conférences à travers le monde. On peut trouver les comptes-rendus de ces conférences dans une publication « The Religion of Man », qui comprend également la transcription d’un échange entre le penseur indien et Albert Einstein.
UNE RICHESSE D’ESPRIT UNIVERSELLE
Dans sa conception de l’éducation, Tagore donne une place prédominante aux arts, et au même niveau d’importance, à la nature. Celle-ci inspire et irrigue sa réflexion ainsi que ses actions. Il est nécessaire, pour pénétrer la subtile vision de sa pédagogie, de tenter de mettre de coté nos réflexes de pensées d’occidentaux. Tagore, lui, plongé depuis sa naissance dans les traditions philosophiques indiennes, musulmanes, mais également occidentales, retranscris ici une synthèse de ces pensées, qui s’appliquent à ses principes pédagogiques. Il donne la priorité au ressenti, à l’intuition, à la rencontre avec autrui. Ces principes incluant un vécu intime avec la nature
EXTRAIT
« Je me souviens fort bien de la surprise et de l’irritation d’un enseignant Il d’expérience, réputé pour la discipline qu’il avait imposée à sa classe, quand il aperçut que l’un des élèves de mon école était monté sur un arbre dont il avait choisi une des branches pour s’asseoir et étudier. Il m’a fallu lui expliquer que l’enfance est la seule période de la vie durant laquelle un être civilisé peut choisir entre la branche d’un arbre et la chaise de son pupitre et que je ne voyais pas pourquoi je devais priver cet enfant de ce privilège pour la simple raison que moi, en tant qu’adulte, je ne l’avais plus. Ce qui étonne, c’est de remarquer que ce même enseignant approuve que cet enfant étudie la botanique. Il croit en une connaissance impersonnelle de l’arbre, parce que cela relève de la science, mais n’accorde pas de valeur à l’expérience personnelle et intime que l’on peut en avoir. L’expérience est la méthode d’expression propre à la nature et quand elle s’accumule elle conduit à la formation de l’instinct. ………//////// Je considère que cela fait partie de l’éducation de mes enfants de se rendre pleinement compte qu’ils vivent dans un monde où les arbres sont une donnée réelle et substantielle et qu’ils ne sont pas seulement un mécanisme qui génère de la chlorophylle et qui absorbe du carbone de l’air, mais bien des arbres vivants. »
Dans sa pratique de l’éducation, Tagore fera aussi valoir sa vision de l’_unité du monde « Le but de l’éducation est de faire appréhender à un être humain l’unité de la Vérité » (Mon école »)
. Sans cesse, il redira son credo: accéder à la connaissance n’est pas uniquement une affaire intellectuelle. L’éducation, selon lui, ne se réduit pas à transmettre de l ‘information. Pour lui, la rencontre directe et intime de chacun de nous avec la nature est le socle sur lequel se construit toute éducation, toute pédagogie. Sans cette expérience, la connaissance ressemble à un vase vide oublié au fond d’une maison.
Pour clore cette anthologie écrite et publiée dans les années 20, des entretiens avec le Prix Nobel d’économie , Amartya Sen, nous éblouissent. Amartya Sen, qui naquit à Santineketan, l’université crée par Tagore, et qui y étudia, y raconte ses brèves rencontres avec le maître indien, mais il nous livre aussi ses propres réflexions à propos de l’éducation ainsi que du dialogue entre les traditions culturelles et philosophiques entre l’Orient et l’Occident. Avec brio, il analyse le contexte géo politique dans lequel naquit cette université. Une mise en perspective à l’unisson de la pensée de Tagore, et qui tisse une toile sur nos possibles et communes humanités.
EXTRAIT
« La graine, dans laquelle la vie demeure contenue, ne connaît pas entièrement sa propre vérité. Même quand l’enveloppe éclate, l’on ne connaît pas sous quelle forme cette vie se manifestera, quels fruits porteront ses branches….://///On vole à l’enfant sa terre pour lui apprendre la géographie, sa langue pour lui apprendre la grammaire. Il a soif d’épopées, mais on lui donnera des chroniques, des faits et des dates«

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