ASSEMBLAGE.
ROMAN
NATASHA BROWN
Consolidation d’une caste et illusions d’assimilation.
L’héroïne d’ « Assemblage », le roman de Natasha Brown, qui déclare « avoir absolument tout », a pratiqué à satiété, l’ascenseur social, version british.
Riche, intelligente, belle, jeune et jamaïcaine. Un pur produit de la diversité réussie. Cette réussite, elle l’a construite au sein de la City. Très demandée, elle s’enivre de conférences où elle vante l’exemplarité de la discrimination positive. Côté vie sociale, côté coeur, tout semble en parfaite adéquation, elle fréquente des jeunes gens corrects qui lui posent cependant la sempiternelle question « à la base, tes parents, ils viennent d’où? D’Afrique, non? » La question qui renvoie l’ascenseur social au sous-sol.
« Légitimité » est un mot qui revient fréquemment dans cet assemblage dérangeant.
EXTRAIT
» Quand j’interviens dans les écoles, je pourrais tenter de dire quelque chose. A ces grandes assemblées d’enfants en mal d’inspiration. Car encore aujourd’hui, la mère patrie ne desserre pas son emprise. La Grande-Bretagne continue de posséder, d’exploiter et de tirer parti des terres saisies durant ses exploits du vingtième siècle. Consumant nos avenirs pour alimenter son économie vorace. Sous la violence de la menace monétaire. A nous faire la leçon, en même temps, sur l’autarcie. A interférer dans nos vies politiques, dans nos démocraties et notre accès à la scène économique mondiale; à créer des pays dits émergents. »
Côté coeur, la voici troublée plus qu’amoureuse, par un Benjamin de bonne famille, vous savez de celles avec cottage pour les week-ends et liste d’ancêtres à rallonge. Plongée dans cette société anglaise profondément figée, mais qui boit des mojitos dans des pots de yaourts en verre. C’est l’heure pour l’héroïne de s’embarquer à la garden-party des parents du fameux Benjamin. Angoisse. Appréhension, dit-elle.
La discrimination positive, une arme politique et soporifique.
Elle est « la nouvelle bonne amie de notre Benjamin », dixit la mère de celui-ci. Condescendance et sourires. Elle joue le jeu. Du moins le croit-on. Le fiancé, presque béat, s’amuse. C’est le repos du guerrier, version jeune héritier qui fait de la gestion de fortune familiale, holdings aux clauses opaques, actifs de fidécomis, l’inventaire obligé de celui qui, naissant une petite cuillère en argent dans la bouche, vit sa vie cashflow. A présent, le voici le temps d’une garden_party, offrant à sa famille, l’image d’un jeune couple ultra progressiste. Une parfaite panoplie. Tout en se faufilant dans le rôle que l’on veut bien lui concéder, l’héroïne garde une distance qui la sauvera…Peut-être… Putain de quotas!
Ce qui se joue ce week-end là est ce qui se joue en permanence, ce n’est rien d’ autre que la poursuite de l’objectif d’une caste: perpétuer sa lignée. Sans anomalie.
Elle, l’héroïne, voit se mettre en place sous ses yeux le processus de cette caste, ce besoin de faire la démonstration de son pouvoir en simulant l’inclusion dans sa lignée de personnes issues de la diversité, ou d’une strate jugée « inférieure ». Elle assiste à la mise en scène d’une parodie d’inclusion, et d’une réalité de rejet. Ce mouvement d’accaparation et de rejet se doit d’être apparent mais non formulé, afin d’asseoir le pouvoir de ces castes.
Il n’existe aucune assimilation, aucune avancée, juste un terme « Discrimination positive », ou « diversité », les ersatzs d’un profond mépris.
Avec clarté et froideur, Natasha Brown dévisse les représentations d’un racisme rampant, souterrain, botoxé aux bonnes intentions,d’ une nouvelle génération de conservateurs qui festoie sur des rooftops.
Un assemblage pervers, glaçant.
EXTRAITS
» Je comprends ce que ce week-end représente. Entrebâillant le rideau, mon petit ami me fait entrer dans le saint des saints. Je ne suis pas acceptée, pas encore. Ce n’est qu’un pas de plus, un pas plus près. Je dois trouver mes marques. Par ce biais, j’étudie ce capital culturel. J’apprends ce que je suis censée faire. Comment je suis censée vivre. Ce que je suis censée apprécier. Je regarde, j’imite. ça demande des efforts. ça demande de comprendre tout ce qui demeure hors de portée«
« Il me présente ses amis politiques de tous bords. Des conservateurs qui poussent des ooh et des aah et qui hochent la tête en me disant que je suis la définition même de notre pays. Et je parle si bien! Des progressistes qui, sourcils foncés, n’y vont pas par quatre chemin : ma carrière, immorale, dessert ma communauté. Je le vois ça, quand même? La question première, c’est la pauvreté, pas la race. Leurs visages sérieux se penchent pour évaluer mon niveau d’entendement, de compréhension quant à mon rôle dans cette société. «

De la violence de classe
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