ENTRETIEN AVEC LUCIE HEDER.

LA GRANDE VERDURE. Roman.

Lucie Heder.

Editions LA VOLTE.

19 euros.

On le savait, le monde devait s’effondrer.

Dans « La grande Verdure », roman de Lucie Heder paru aux éditions de « La Volte », en Septembre 2025, l’effondrement à déjà eu lieu.

De cet inclassable roman (on tentera « éco_logique », « dystopique »?), Lucie Heder donne ici quelques réflexions, loin des clichés du développement personnel ou écologiques en cours.

Où comment ne pas se laisser enfermer dans des modèles relationnels.

Système répressif, limites du collectif, marge pas marge, j’emprunte ici le titre du roman auto-édité de l’autrice « Quelque chose à changé ».

Profondément.

1/ Est-ce que le message, entre autres, c’est de dire « attention, on sort d’un carcan de pensées programmées, et insidieusement, et sans se remettre en questions, on va se faire piéger par une autre forme de dérive communautaire? »


Oui, il y a quelque chose de cela, dans le sens de passer d’un système rigide à un autre, même si je n’utiliserais pas le terme de dérive communautaire car c’est un mot utilisé actuellement par le pouvoir pour opprimer les populations minorisées telles que les personnes racisées ou les personnes LGBTQIA+. Faire communauté sur la base d’oppressions subies n’a rien de problématique, c’est plutôt une manière de se constituer en force politique. Les personnes qui forment le collectif de la grande verdure ont vécu dans la société telle que nous la connaissons aujourd’hui et elles ont bien conscience des enjeux de pouvoir qu’il y a autour de la communication et de l’expression des émotions. Elles ont réfléchi à un système de communication plus égalitaire mais elles ne se sont pas rendu compte que ce système exclut d’autres personnes, celles qui passent davantage par la communication non verbale, celles qui n’ont pas un accès direct à leurs émotions. Un système de communication qui pousse à tout verbaliser peut s’avérer oppressif car il part du principe que les personnes sont capables d’analyser leurs émotions et d’exprimer leurs besoins en deux temps trois mouvements. Cela crée de fait une hiérarchie entre celleux qui en sont capables, qui se retrouvent à avoir davantage de pouvoir que celleux qui n’en sont pas capables. C’est une des choses que le livre cherche à mettre en scène, sans forcément proposer une solution, avec les personnages de Sable et de Lierre qui ne sont pas adaptés au système que propose la grande verdure.


2/ Votre texte renvoie à un grand thème humain, celui de l’exclusion.
Une communauté ne trouve son identité que dans l’exclusion d’un tiers. C’est la figure de l’exclu qui dessine l’autre
Est-ce que Lierre, en refusant une autorité étouffante, ne dessine pas à son insu, les contours de cette communauté
?

L’histoire de la grande verdure nous est racontée du point de vue de Lierre qui vient de quitter ce collectif.
Il faut donc déjà rappeler que cette vision de la grande verdure qui nous est présentée dans le livre est extrêmement partiale ! J’ai commencé à écrire le livre en explorant la voix de Lierre qui emporte par son point de vue très tranché, qui se laisse porter par sa colère envers tout ce qu’elle a traversé dans ce collectif. C’est le point de vue de la voix divergente dans le groupe. C’est le point de vue de la marge de la marge. En avançant dans le livre, Lierre commence à avoir des discussions avec des personnes de la grande verdure et le tableau de ce collectif prend une teinte un peu différente. C’est donc l’individu qui trace les contours du collectif, qui montre ses limites, autant que le collectif qui trace les contours et montre les limites de l’individu


3/ Est-ce que « La Grande Verdure » nous signifie également l’impérieuse nécessité de la conscience que nous devons avoir sur notre lien intrinsèque avec le végétal
?


Le livre se situe dans un futur proche où les plantes ont repris du terrain sur le béton. S’il n’y a plus personne pour la contenir, plus de municipalités et plus de services d’« espaces verts » pour tondre la pelouse, tailler les haies et arracher les dites « mauvaises herbes », le vivant reprend très vite le pas sur le béton. À la fois la grande verdure et Sable, de différentes manières,habitent ce monde non plus contre mais avec le vivant. La poussée du vivant, l’envahissement de l’espace par les végétaux est quelque chose avec lequel on fait dans ce monde-là, ce n’est pas quelque chose qu’il faut combattre ni qu’on cherche à remettre en question. La mise au centre des plantes par la grande verdure aussi, le fait que ce soit elles qui symbolisent les émotions, qui soient le média pour communiquer, est aussi une manière de reconnaître
leur extrême importance. Au lieu de produire un objet, de mettre en place une nouvelle technologie, on préfère faire pousser plus de plantes pour se parler. Tout est effectivement une invitation à ne plus faire contre le vivant mais bien à faire avec.

4/ Votre livre est publié à une période charnière de notre histoire humaine.
On vit dans l’ombre gigantesque du transhumanisme, de l’homme augmenté.
Est-ce que vous considérer que l’émergence de micros sociétés peut nous mener à des solutions, collectives et individuelles?


Je pense que mille modes d’organisation sont possibles, mais qu’en partant d’une petite échelle on a plus de chances de mettre en place des systèmes de démocratie directe qui conduisent à plus d’égalité. C’est aussi en s’organisant au niveau local, avec les gens qui vivent à côté de nous, que l’on peut tendre vers une société plus juste et plus égalitaire. Après, je ne pense pas que la taille soit forcément la clé. Les libertariens eux aussi aspirent à des micro sociétés ultralibérales où le marché est dérégulé et ’individualisme règne… Le livre d’Elio Possoz, Les mains vides, est un bon exemple d’exploration de lieux collectifs anarchistes avec des modes d’organisation différents et un système de délégués pour prendre des décisions intercommunautaires. D’un point de vue plus personnel, quand j’imagine une société désirable dans le futur, j’ai tendance à imaginer que le niveau d’avancement technologique sera plus faible qu’actuellement, car je n’arrive pas à imaginer un monde à la juste et à la fois basé sur l’extractivisme. J’imagine donc de petits collectifs de personnes qui vivent plus simplement. Plus que des micro-sociétés, je pense que c’est l’organisation au niveau local qui peut nous amener des solutions, que ce soit au niveau collectif ou individuel.

Je voudrais juste ajouter une question un peu « candide » : est-ce que la grande verdure est un livre
d’espoir
?


Je pense que oui. Les conditions matérielles décrites dans le livre ne sont pas idéales, les conditions climatiques sont devenues très dures mais il y a un réel effort de la part de tous les protagonistes pour dépasser les incompréhensions et parvenir à vivre ensemble sans se faire de mal. Je pense que c’est ce qui nous manque aujourd’hui. Faire avec les gens qui sont à côté de nous au lieu de faire tout.e seul.e dans son coin. Réfléchir à des fonctionnements collectifs auxquels peuvent participer le plus de personnes
possibles. Laisser le maximum d’espace aux personnes qui ont des manières de faire étranges ou marginales. Leur laisser la place de venir ou de partir du groupe comme iels le souhaitent. Apporter à la fois de l’exigence et de la souplesse dans les relations humaines. Je crois que c’est quelque chose qu’on
peut explorer de manière positive dans la science-fiction, pour offrir des alternatives aux modèles relationnels ultralibéraux dans lesquels le capitalisme veut nous enfermer.


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